Pandémie et immobilier suisse, où en sommes-nous ?
Les retombées de la crise sanitaire ont sérieusement affecté le marché immobilier suisse. Cependant, les effets n’ont pas été complètement négatifs.
Le marché immobilier est par définition le lieu des transactions immobilières entre propriétaire-vendeur, agent immobilier et acquéreur. Ces derniers échangent à titre onéreux des biens immobiliers (villa, chalet, bel appartement, etc.). C’est donc sur ce marché que se déroule tout le processus d’achat immobilier et de vente immobilière. Une récente étude du Crédit Suisse nous permet de passer en revue tous les aspects du marché immobilier suisse. Il ressort de cette analyse que la plupart des segments du secteur immobilier présentent des difficultés notables.
La remarque faite par nombre d’experts du Crédit Suisse est que le Covid-19 a contraint la majorité de la population au confinement. Cette situation a néanmoins permis le développement du télétravail ; ce qui a mis en évidence l’exiguïté de nombre d’appartements en Suisse. De plus, l’interdiction de sortir a fortement augmenté le désir de disposer d’un espace extérieur.
Savez-vous que les taux bas donnent aux personnes détentrices d’un patrimoine financier une réelle opportunité de changement ? Mais pour que cela soit effectif, il faut impérativement que ces derniers présentent des fonds propres considérables. Ceci parce qu’au cours de ces dernières années, la production de logement habitable a connu une forte régression. À cela s’ajoute le resserrement des modalités d’obtention du crédit hypothécaire par les banques. Avec 5% d’intérêt théorique et un financement provenant à 80% de fonds étrangers, seuls 34% de logements à 4 pièces (ou plus) déclarés en Suisse sont à la portée des ménages à revenu moyen. Ceci étant, les appartements (42%) se révèlent bien plus profitables que les maisons individuelles (26%). Notons qu’à la fin de l’année 2008, les pourcentages étaient de 65% pour les appartements déclarés et de 43% pour les maisons personnelles. Selon les graphiques, rares sont les logements à la portée des ménages à revenu moyen dans les cantons de Zoug et de Zurich. Il s’agit plus précisément des biens sis dans la région lémanique et tout autour de Lucerne et de Bâle.
Mais au cas où ces ménages seraient en mesure d’apporter plus de fonds propres, le problème ne se poserait plus. En effet, l’admissibilité théorique pour un revenu spécifique s’améliore en fonction de l’augmentation de la part des fonds propres. En bref, avec un revenu CHF de 120000 et un financement à partir de fonds étrangers à hauteur de 80%, seuls 30% de biens immobiliers seront accessibles aux ménages à revenu moyen. Mais si le financement via fonds étrangers passe à 60%, 56 % de logements leur seront accessibles.
D’autre part, le choix de la localisation s’avère nécessaire pour devenir propriétaire. Pour ce qui est du télétravail, il est nettement plus avantageux de devenir propriétaire d’un logement sis en périphérie. Pour d’autres ménages encore, l’extension du périmètre de recherche est le meilleur moyen de concrétiser leur rêve de devenir propriétaire d’un logement à forte valeur immobilière. Par ailleurs, la demande a fortement progressé dans les emplacements résidentiels sis à la périphérie des pôles d’emploi tout comme dans la plupart des régions touristiques alpines. Notons que cette demande se focalise principalement sur les appartements de vacances. En réalité, la flexibilité du travail rend ces derniers plus utiles.
Il est primordial de notifier que l’interdiction de franchir les frontières Suisse a également fait des logements de vacances en Suisse une véritable mine d’or aux yeux des acquéreurs.
La demande en logement locatif ne suit plus, depuis quelques années, le rythme de l’offre. Mais si l’on s’en tient au moral en berne des consommateurs et à la régression de l’immigration, l’on est en droit de craindre que la Covid-19 n’intensifie le surplus d’offres qui caractérise le marché de la propriété locative. Bien qu’il y ait eu un fort taux de migration au cours de l’année écoulée, on observe un net recul du solde migratoire des résidents à court terme. Notons que ce terme est utilisé pour désigner la population résidante non permanente, c’est-à-dire dont la durée de séjour est de 12 mois au maximum. Ceux-ci travaillent généralement dans des secteurs saisonniers (hôtellerie et/ou restauration) ou sont pour la plupart recrutés pour couvrir les éventuelles pénuries en main-d’œuvre. En 2020, le solde migratoire de cette population non résidente a connu une baisse notable de 11800 personnes.
En temps normal, ce recul de la demande devrait être passager. Mais il convient avant toute chose de voir comment la façon dont la crise sanitaire touche la structure de la demande. En effet, faute au net repli de l’immigration d’origine étrangère, nombre de centres d’envergure (à l’exception de Bâle) ont été témoins de la baisse de leur croissance démographique en 2020. Il en est de même pour les villes de Genève et de Zurich qui ont vu la chute de croissance de la population résidente suisse. Au niveau des plateformes immobilières, les analyses des abonnements de recherche de logements locatifs affichent un faible déplacement de la demande en bien immobilier. Ceci se remarque plus particulièrement depuis les petits logements sis dans les centres d’envergures (et agglomérations) vers des logements plus grands présents dans les régions rurales et les centres de taille moyenne.
En 2020, pas moins de 26000 logements locatifs sont entrés en possession d’un permis de construire en Suisse. Cependant, bien que ce chiffre soit inférieur à ceux observés dans le courant des années 2016 à 2018, il convient d’indiquer qu’il est encore trop élevé pour conduire à une baisse rapide des surfaces inoccupées. Ceci étant, la récession des demandes de permis de construire indiquant une baisse progressive de l’activité de construction est une tendance qui devrait se prolonger sur les deux ou trois années à venir.
En 2020, 27000 logements locatifs (chiffre extrêmement bas comparé à ceux des années précédentes) ont été l’objet d’une demande de permis de construire. Toutefois, les derniers chiffres en rapport avec les permis de construire laissent présager une nette amélioration. On note en effet une hausse du nombre d’appartements avec permis, dans les grands centres et leurs communes d’agglomération (respectivement +14,8% et +14,3%) en 2020. Cependant, il ne reste presque plus de terrains bâtissables dans les centres. De plus, les friches industrielles les plus alléchantes se sont vite métamorphosées en quartier résidentiel. Enfin, plus les projets immobiliers s’identifient aux constructions de remplacement, plus l’ajout net d’unités résidentielles apparait inférieur à ce que stipulent les permis de construire.
La pandémie de Covid-19 impacte également la demande en surface de bureau. En 2020-2021 nous statuons sur une réduction de la demande sur approximativement 700 000 m². À noter que l’avènement de la crise sanitaire a conduit à la baisse des effectifs de personnel dans les bureaux et donc la chute des besoins en surface habitable. En réalité, depuis de début de la pandémie, les entreprises se sont beaucoup plus focalisées sur la réduction des coûts que sur leur propre croissance. Les prestataires de service essaient quant à eux d’appréhender l’influence qu’aura l’évolution du télétravail sur leurs besoins futurs en surfaces à exploiter.
La période post-Covid-19 verra chaque promoteur d’entreprises se donner pour mission de ramener leurs collaborateurs habitués au télétravail à leurs anciennes habitudes. La clé pour leur redonner goût au travail de bureau est de disposer d’un site captivant. C’est certainement la raison pour laquelle la demande en surfaces a cru dans les centres au cours de ces dernières années. Notons que l’intérêt sur les emplacements centraux est dû à l’importance sans cesse grandissante de la valeur de leur localisation. Comme facteurs pouvant rendre attrayants les lieux de travail, nous pouvons citer les tendances sociales et le besoin d’un équilibre parfait entre vie privée et vie professionnelle. À cela peut s’ajouter l’envie d’une activité professionnelle plus soutenue.
D’autre part, la faible demande en surfaces de bureau fera certainement croître l’offre sur les trois trimestres à venir. Cela empêchera toute baisse de surfaces mises à disposition après les 3 années de hausse de la demande. Mais si l’on prend en considération les surfaces proposées puis mises en vente via les agences immobilières par le biais d’annonces immobilières sur les plateformes internet individualisées, il apparait que la taille totale des surfaces de bureaux disponible sur le plan national a atteint 3 043 000m² en été 2020.
Après avoir connu en 2019 une période de faiblesse, les permis de construire de bureaux ont considérablement augmenté en 2020 et cela en dépit de la pandémie. On note en effet, en décembre 2020, un CHF (sur 12 mois) estimé à 2 145 000, ce qui sera sur le long terme largement au-dessus de la moyenne. Par ailleurs, cette activité de planification a été fortement influencée par l’apparition des taux bas, et ce, malgré la hausse de l’offre. Notons que c’est cet environnement qui garantit des coûts de financement plus faibles tout en réduisant les alternatives d’investissement. Cela rend tout investissement locatif attractif et plus particulièrement dans les bâtiments neufs (appartements neufs, villas neuves, etc.).
Enfin, avant 2019, le nombre de permis de construire offert à toujours été supérieur à la moyenne sur le long terme. Cependant, on doit malgré tout considérer qu’au regard des faibles prévisions de la demande, il n’est en aucun cas question d’espérer un retournement de situation.
Au progrès du comportement en matière de mobilité, s’ajoute le transfert des chiffres d’affaires sur internet (en raison de la pandémie). Cela devrait normalement accélérer tout changement structurel au sein du commerce de détail stationnaire.
Dans leur souci de modéliser l’impact de différentes situations de fréquentation, des experts du Crédit Suisse ont fait appel à la société d’ingénierie Senozon AG sis à Zurich et Berlin. Ceux-ci sont en effet en mesure de fournir une technologie de simulation, pouvant idéalement calculer les taux de présence à partir d’un modèle spécifique. Pour mieux représenter le taux de fréquentation au cours de la première période de blocage (magasins non alimentaires et établissements d’enseignement fermés), les ingénieurs ont supposé dans leurs calculs que seulement la moitié des employés faisaient des allers-retours.
Il ressort de cette modélisation que même après la pandémie, les fréquentations ne seront plus aux mêmes niveaux précédant la crise. De plus, l’augmentation du taux de télétravail réduira le trafic piéton de 5% à 30% et le trafic automobile de 5% à 25%. À noter que l’absence de cette population active affectera essentiellement les achats libres et sporadiques, moins nombreux, et ce, principalement au niveau des centres-villes.
Par ailleurs, si la Covid-19 était apparue des années plus tôt, elle aurait amené les consommateurs à cesser toute consommation. Aujourd’hui, ces derniers se sont juste contentés de prendre par le biais des canaux en ligne, tout au long de la période de confinement. Ce changement de comportement est à l’origine d’un important flux de colis ainsi que des prestataires logistiques au bord de l’explosion. Les chiffres d’affaires du e-commerce tout au long de l’année 2020, (tous domaines confondus) devraient normalement augmenter de 35%. Si la croissance structurelle de ces dernières années est en mesure d’expliquer environ 10% de cette croissance, la Covid-19 en explique les 25% restants.
Du côté des surfaces, nombre de réductions sont prévues. En effet, les baux sur le point d’expirer ne sont pas renouvelés ou simplement en échange de concessions sur les prix des loyers. Le volume des surfaces de vente a donc été revu à un niveau record, et ce, à la suite d’une baisse temporaire. Notons que cette baisse apparaît à la suite des réaffectations et baux avec des locataires moins solvables. Cependant, avec l’avènement de la crise du coronavirus, le volume de surface est distribué à la hausse avec le concours de la totalité des tailles de surface. L’augmentation la plus évidente est sans aucun doute celle des surfaces d’envergure (2 000 m² et plus). Elle fait généralement écho à la tendance des achats en ligne touchant les petits magasins.
La croissance du e-commerce apparaît comme un défi capital pour la logistique. En effet cette dernière se doit d’acheminer au plus vite un volume sans cesse croissant de petits colis aux consommateurs finaux.
Avec l’importance croissante de la chaîne d’approvisionnement B2C, de l’automatisation de la logistique interne et de la tendance au développement durable, les attentes relatives à l’immobilier logistique ont fortement augmenté. Cependant, de nombreuses propriétés présentes en Suisse ne répondent plus à ces exigences. L’offre se retrouve donc limitée.
La forte demande jumelée à une offre limitée a fait grimper les prix immobiliers, mettant ainsi la pression sur la rentabilité du marché de la location de bâtiments logistiques. Selon l’évaluation de WüestPartner, le rapport logistique réalisé sur 200 bâtiments, entre 2011 et 2020, démontre que le rendement total est passé de 8,0% à 5,9% (valeur médiane). Les observateurs du marché ont entre autres souligné que le marché des transactions immobilières s’est pour le moins asséché. Toutefois, pour ce qui est des quelques propriétés intéressantes toujours proposées, comme les centres de distribution de colis dans des emplacements de choix, il n’est plus rare que les rendements initiaux bruts ne dépassent pas 3,5%. Acheter un bien industriel qui sera par la suite transformé en immeuble logistique s’avère donc être un véritable privilège.
Sur le plan mondial, les investissements immobiliers négociés en bourse sont les plus grands perdants de cette pandémie. En effet, ces derniers ont mis plus de temps que les autres classes d’actifs à se remettre du krach boursier ayant eu lieu au début de la crise. Par exemple, l’indice MSCI World Real Estate a clôturé l’année 2020 avec une chute de 5,9%. Par ailleurs, les actions immobilières suisses affichaient avant la correction, une valorisation extrêmement forte. À noter que leur importante part de surfaces commerciales (contrairement aux fonds immobiliers) a suivi la même tendance (-6,7%). En revanche, la situation des fonds immobiliers suisses cotés est assez différente : après une course folle en fin d’année, ils ont bénéficié d’un rendement de pas moins de 10,8% en 2020 et cela dans le sillage d’une hausse de 20,7% à la fin de l’année 2019. De quoi garder les autres marchés « résistants à la COVID-19 » comme l’Allemagne (+ 3,9%) et les États-Unis (+ 4,6%) complètement derrière.
En résumé, les retombées de la crise sanitaire ont sérieusement affecté le marché immobilier suisse. Cependant, les effets n’ont pas été complètement négatifs tant du côté de l’offre que de la demande de locations.